Je réagissais ce mardi à l’exposé d’orientation politique du ministre de la Justice, Vincent van Quickenborne, c’est-à-dire les orientations qu’il souhaite imprimer à la justice pour cette législature.
Sa note était épaisse, les discussions sont à la hauteur : nous avons déjà passé presque 15h à la décortiquer, et rendez-vous est pris pour terminer mercredi prochain
Le refinancement de la justice était attendu depuis des années ; le gouvernement a pris des engagements forts en la matière avec une augmentation substantielle et progressive du budget de la justice. À l’horizon 2024 ce sont 250 millions annuels qui s’y ajouteront, sans compter d’importants investissements dans l’informatisation et la numérisation. Pour 2021, une provision de 125 millions d’euros est inscrite au budget.
Lors de mon intervention, j’ai mis en avant les priorités suivantes :
- Une justice indépendante des autres pouvoirs, respectée par eux, et ne pouvant en aucun cas être soumise à des impératifs managériaux ;
- Une justice accessible, pour toutes et tous. Cela passe par la levée d’obstacles financiers à ce que chacun.e puisse se défendre et faire valoir ses droits – la mise en œuvre complète de la réforme de l’aide juridique de deuxième ligne (« pro deo ») votée il y a quelques mois par la Chambre est garantie et son financement prévu sur le budget de base. L’accessibilité se décline aussi en termes géographiques : les lieux de justice doivent être proches des justiciables, c’est un enjeu démocratique. Des progrès sont aussi à faire pour les justiciables en situation de handicap : accessibilité des infrastructures, disponibilité d’interprètes en langue des signes… ;
- Une justice à la hauteur des enjeux de notre temps, au premier rang desquels la lutte contre les violences sexuelles et intrafamiliales que le gouvernement dans son ensemble s’est fixé comme priorité absolue.J’ai défendu la nécessité d’élargir l’approche à toutes les violences faites aux femmes – qui outre sexuelles peuvent être psychiques, physiques, même économiques – et ai invité le ministre à prendre pour boussole la Convention d’Istanbul. Une avancée urgente serait d’organiser enfin la récolte de données désagrégées et fiables sur les infractions ayant une dimension de genre, afin de prendre la mesure de l’ampleur de ce fléau pour mieux le combattre ; le GREVIO déplore en effet une relative invisibilisation des violences de genre envers les femmes. Encore plus largement, j’ai insisté sur le constat que le droit n’est pas neutre, et dès lors sur la nécessité de poser sur le droit dans son ensemble un regard critique féministe afin de faire progresser les droits des femmes, comme nous y invitait il y a quelques mois l’association Fem&LAW grâce à son Code commenté des droits des femmes. J’ai bien sûr insisté sur la nécessaire collaboration avec la secrétaire d’Etat Sarah Schlitz !
- Une justice attentive à la dignité humaine et aux droits fondamentaux, y compris pour les détenus et les internés. On peut ici se réjouir de l’engagement de sortir le plus rapidement possible les personnes internées des prisons – la situation actuelle est une des grandes hontes de notre système judiciaire et a valu à la Belgique plusieurs condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme. Quant aux droits des détenus, ils sont particulièrement malmenés en temps de pandémie – voir encore l’action de familles de détenus hier devant la prison de Huy – et il faut veiller à lutter contre la propagation du virus de la façon la moins attentatoire à leurs droits. Durant la première vague, des libérations anticipées et des interruptions d’exécution de la peine avaient été octroyées afin de limiter la surpopulation. On attend toujours de telles mesures pour la deuxième vague alors que les contaminations en prison se multiplient ;
- Une justice efficace et moderne, mais résolument humaine. Je me suis réjouie du tournant digital que pourra enfin amorcer la justice, mais j’ai insisté sur l’importance de maintenir la technologie à sa juste place, c’est-à-dire en soutien et au service de l’intervention humaine sans s’y substituer ; l’usage de la technologie doit également être toujours balisé par le respect scrupuleux des droits et libertés. Je me suis inquiétée de la volonté affichée de rendre structurelles des mesures prises pour assurer la continuité de la justice en temps de covid – exemples emblématiques : la généralisation des audiences par vidéoconférence y compris en matière pénale, ou la suppression automatique de certaines audiences de plaidoirie au profit de la procédure écrite ;
Pour terminer, j’ai assuré le ministre de notre soutien vigilant pour les trois ans et demi qui viennent.