Le jugement rendu cette semaine à l’encontre d’un homme ayant harcelé Myriam Leroy a déjà fait couler beaucoup d’encre. Ce n’est pas mon rôle de commenter une décision de justice ; je me risque néanmoins à partager quelques éléments de réflexion inspirés par cette actualité.

  1. La compétence du tribunal correctionnel. Devant la chambre des mises en accusation, le prévenu avait plaidé le « délit de presse » afin de relever de la compétence de la Cour d’assise – et donc, selon toute probabilité, d’éviter tout bonnement le procès puisqu’il est rarissime que le parquet convoque un jury d’assises pour de tels faits (même si un tel procès s’est tenu récemment à Liège). On parle de « délit de presse » lorsqu’une infraction de droit commun (harcèlement, diffamation…) exprime une opinion et est commise par écrit et avec une certaine publicité – ce qui vise également les propos écrits sur internet. Or, le prévenu a ici bien été renvoyé devant le tribunal correctionnel. À ce titre, la décision de cette semaine s’inscrit dans la lignée d’un jugement rendu par le tribunal correctionnel de Liège en 2018, qui s’était estimé compétent pour connaître de faits similaires en indiquant que l’on ne pouvait parler d’ « opinion » face à des propos simplement injurieux ou calomnieux, dénués d’une argumentation un tant soit peu construite ou développée. Cette décision avait été confirmée en appel en 2019, mais cassée en 2020 par la Cour de cassation qui s’en était tenue à sa jurisprudence constante qui n’exige pas la présence d’une logique argumentative pour parler de délit de presse, et donc pour entraîner la protection que constitue la compétence du jury d’assises. Le jugement de cette semaine empruntera-t-il le même parcours ? Il sera intéressant de le suivre pour voir si une nouvelle tendance se dessine, de nature peut-être à faire basculer à terme une jurisprudence établie de longue date. Quoi qu’il en soit, ceci vient une fois encore rappeler la nécessité de réviser l’article 150 de la Constitution belge, qui réserve au jury populaire ces délits de presse. Avec mon collègue Kristof Calvo, nous avons déposé un texte à cet effet en février dernier, afin de soustraire à la Cour d’assise (au profit du tribunal correctionnel) non seulement les délits de presse inspirés par le racisme ou la xénophobie, comme c’est déjà le cas depuis 1999, mais également les délits de presse inspirés par les autres critères légaux de discrimination, dont le sexisme.
  2. Le sursis probatoire. Outre des dommages et intérêts à la partie civile, la juge a prononcé une amende et une peine d’emprisonnement avec sursis probatoire, incluant une formation sur les violences faites aux femmes. De manière générale, il me paraît bienvenu que la justice se tourne autant que possible vers les peines alternatives à la prison ferme. Cela semble d’autant plus pertinent dans le contexte de violences genrées ou sexo-spécifiques : la prison est probablement l’un des lieux où la masculinité toxique est la plus dominante, comment penser qu’un séjour en prison pourrait permettre à des auteurs de telles violences de prendre conscience de leurs actes et de progresser dans le respect envers les femmes ?
  3. La justice n’est pas la prévention. Je comprends parfaitement le soulagement voire la réjouissance que la décision à l’encontre du harceleur de Myriam Leroy provoque, dans le sens où elle semble ouvrir une brèche dans le cul-de-sac auquel les victimes qui choisissent la voie pénale pour ce type de fait sont confrontées si souvent – ce qui pousse d’ailleurs de très nombreuses victimes à n’entreprendre aucune action en justice tant elles pensent que c’est peine perdue. Cela ne va pas. Il est bien sûr important que le système pénal soit en mesure de prendre en charge adéquatement et effectivement les comportements qu’il érige en infractions. Pourtant, encore et toujours, j’ai à cœur de rappeler que l’intervention de la justice pénale signifie que l’infraction a déjà eu lieu ; lorsqu’on en est à saisir la justice, on n’est plus à proprement parler à l’étape de « lutter contre » les violences. C’est surtout avant que les violences ne se produisent qu’il faut agir – et je souligne au passage que la prévention constitue un volet important du nouveau Plan interfédéral de lutte contre les violences fondées sur le genre porté Sarah Schlitz.

Retrouvez un article paru dans Le Soir sur la question

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