Hier soir vers 1h40 du matin, après un travail parlementaire de 6 mois et un débat en séance plénière de 5h, la Chambre a adopté la réforme du Code pénal réformant le droit pénal dit « sexuel », déposée par le ministre de la Justice en collaboration déterminante avec la secrétaire d’État Sarah Schlitz.

Il était important de moderniser l’approche pénale des infractions sexuelles. Le Code pénal date de 1867, et jusqu’à aujourd’hui les violences sexuelles étaient considérées, non pas comme des crimes et délits contre les personnes (et singulièrement contre les femmes), mais contre « l’ordre des familles et la moralité publique ». Certaines définitions étaient réellement périmées, et des infractions plus récentes n’étaient pas prises en compte. Avec cette réécriture, nous rendons la loi plus claire, plus en phase avec la pratique des professionnel.le.s du droit et avec les préoccupations de la société.

Le texte inscrit comme pierre angulaire la notion de consentement. Dans un contexte où les paroles des femmes et des victimes en général se libèrent et sont plus écoutées, il s’agit d’une avancée majeure. Nous inscrivons noir sur blanc, dans la loi, une définition du consentement et ses conditions: le consentement doit être donné librement, il peut être retiré à tout moment avant ou pendant l’acte et dans toute une série de cas: s’il y a eu menaces, contraintes, si la victime était endormie, inconsciente ou vulnérable car sous l’influence de l’alcool ou d’autres substances altérant le libre arbitre, on considérera que le consentement n’était pas possible.

Autre point de clarification : l’incrimination de l’inceste en tant qu’infraction spécifique, une demande de longue date des associations telles que SOS Inceste et Femmes de droit. Il était bien sûr déjà possible de condamner un auteur d’inceste mais le crime d’inceste n’était pas nommé comme tel. L’inceste est encore très tabou et mal connu et pourtant, selon des organisations spécialistes, ce crime concernerait près d’un enfant sur 10 en Belgique. Il répond à des mécanismes d’emprise spécifiques et mérite donc d’être inscrit nommément dans la loi.

Certains taux de peine ont été modifiés, pour maintenir ou ramener de la cohérence entre ces taux et sachant que le système de peines va être fondamentalement revu lors de la réforme plus globale du Code pénal dans son ensemble. Ainsi, la peine attachée au crime de viol a été alourdie car elle apparaissait étonnamment peu élevée par rapport à d’autres au regard de la gravité de cette infraction.

Je me félicite de la nouvelle possibilité qui est ouverte de prononcer des peines alternatives à la prison pour les auteurs d’infraction sexuelles. Cela mérite un peu d’explication, car la prison a une telle hégémonie dans notre esprit que toute peine qui n’est pas de la prison semble une peine au rabais ou de moindre importance, une peine complaisante, voire une absence de peine. Je veux insister : la prison n’est pas, en tout cas certainement pas toujours, le choix le plus protecteur à long terme pour la société. Les prisons font sans doute partie des lieux où la masculinité toxique règne le plus, on se doute que cet environnement n’est pas propice à développer le respect des femmes et de leurs droits, surtout dans les conditions de détention actuelles. Et quand on connaît le bilan catastrophique de la prison en termes de récidive, il était pour nous fondamental d’ajouter à la palette des peines des réponses qui seront dans certains cas mieux à même de prendre en charge les auteurs et d’éviter la récidive, ce qui veut dire au final mieux protéger la société.

Outre le chapitre sur les infractions sexuelles, la réforme comporte un autre chapitre qui concerne les infractions liées à la prostitution. Sur ce sujet sensible et qui divise fortement, nous avons voulu qu’un large débat puisse avoir lieu, dans lequel les différentes opinions qui vivent dans la société ont pu être développées. Pour nous écologistes, la boussole devait être l’amélioration des droits et des protections. La prostitution s’inscrit profondément dans la domination masculine, en particulier la domination des hommes sur les corps des femmes : quasiment 100 % des clients sont des hommes, et une immense majorité des prestataires sont des femmes, souvent des femmes en grande vulnérabilité. Il n’est évidemment pas question de banaliser cela ou de considérer, comme d’autres le font, qu’il s’agit d’un métier « comme un autre » ou d’un secteur économique à libéraliser. Il n’est pas question pour les écologistes de soutenir l’enrichissement de proxénètes patrons ou actionnaires sur le dos de femmes qui se prostituent.

Pour autant, il faut constater que la situation légale actuelle est partiellement hypocrite, et qu’elle ne protège pas ou mal les personnes concernées. La crise du Covid a bien révélé à quel point une grande partie des personnes prostituées s’est retrouvée livrée à elle-même, sans protection sociale, sans droits. Je suis également sincèrement persuadée qu’on ne protège pas mieux les personnes précarisées en les renvoyant davantage encore dans la clandestinité et en les empêchant d’installer des formes de solidarité entre elles. Une évolution était nécessaire pour améliorer les conditions de vie et d’activité des personnes prostituées, leur permettre de défendre leurs droits face aux proxénètes, et diminuer la forte stigmatisation dont elles souffrent au quotidien, tout en renforçant les moyens octroyés à la lutte contre la traite des êtres humains.

Le texte déposé par le ministre de la Justice prévoyait une dépénalisation importante du proxénétisme, sans garanties d’évolutions nécessaires en termes de droits sociaux pour les personnes travaillant dans la prostitution. Cela ne répondait pas à notre préoccupation. Grâce aux auditions, aux avis et aux rencontres que nous avons menées, nous avons pu maintenir une infraction de proxénétisme forte, tout en laissant la porte ouverte à un statut social plus protecteur. Ces nouvelles dispositions seront évaluées par la Chambre dans 2 ans, puis tous les 4 ans, grâce au rapport d’un panel d’experts indépendants qui devra examiner l’impact de la réforme sur les droits sociaux, la lutte contre la traite des êtres humains, l’égalité entre les femmes et les hommes, et l’impact sur certains groupes particulièrement vulnérables comme les personnes migrantes ou les jeunes. La loi devra le cas échéant être adaptée à la lumière des conclusions de ces rapports.

Pour conclure, rappelons que si cette réforme du droit pénal sexuel est un grand pas en avant, la réponse pénale est toujours un échec en ce qu’elle est mobilisée lorsque l’infraction n’a pu être évitée. C’est pourquoi Ecolo-Groen travaille au quotidien et à tous les niveaux de pouvoir sur la prévention, la formation, l’éducation, à travers notamment le Plan d’action national de lutte contre les violences de genre.

Un grand merci à toutes les associations et organisations qui nous ont fait bénéficier de leur expertise tout au long de ce travail important. Un grand bravo aux courageuses et courageux qui en prenant la parole et en s’organisant ont créé un mouvement qui amène le changement. Et un merci tout particulier à ma collègue Séverine de Laveleye pour ses conseils de chaque jour dans ce dossier, ainsi qu’à celles et ceux qui travaillent dans l’ombre (François, Sandra, Katrien, Christel, Amélie, Caroline) et sans qui rien n’irait !

Retrouvez mon intervention complète en séance plénière et celle de mon collègue Groen Stefaan Van Hecke qui a apporté un éclairage très pertinent issu notamment de sa pratique d’avocat, au cours de laquelle il a défendu 14 des 19 victimes (connues) d’un violeur en série.