« J’ai quitté mon pays parce que je n’y étais pas en sécurité, et finalement pour moi il y a autant d’insécurité ici, dans la rue, en Belgique ».

Une phrase qui transperce, un petit bout d’une des nombreuses histoires individuelles derrière les chiffres.

Hier matin, ma collègue Séverine de Laveleye et moi avons répondu présentes à l’invitation à rencontrer les demandeurs d’asile qui occupent actuellement le bâtiment du futur Centre de crise national, près de la Gare du Nord à Bruxelles. Ils sont une 70aine issus de Palestine, Arabie Saoudite, Guinée Conakry, Yemen, Afghanistan à s’y être installés, après avoir dormi dans la rue, dans des embrasures de portes, dans un bâtiment de l’allée du Kaai récemment évacué et rendu volontairement inoccupable par les autorités publiques. Le choix d’occuper depuis le 12 mars un bâtiment fédéral n’est pas anodin, alors que l’État fédéral qui doit leur assurer une prise en charge dans le réseau Fedasil n’est toujours pas, aujourd’hui, en mesure de le faire.

Un accord a pourtant été atteint la semaine dernière au sein du gouvernement fédéral, qui donne enfin des perspectives en matière d’accueil. Enfin, après des mois de lutte et de pression des écologistes pour le retour au respect des principes élémentaires de l’État de droit et un accueil digne pour toutes les personnes qui y ont droit. En effet, depuis un an et demi, la Belgique a été condamnée plus de 7000 fois pour défaut d’accueil par les cours et tribunaux nationaux – entraînant des astreintes qui se chiffrent désormais en centaines de millions d’euros – et plus de 1000 fois par la Cour européenne des droits de l’homme.

Il faut bien prendre conscience de ceci : le contexte politique aujourd’hui est tel que respecter l’état de droit est devenu une bataille politique de longue haleine plutôt qu’une évidence partagée par tous les partis démocratiques et plus largement dans la société. Nous le constatons avec beaucoup d’inquiétude, sans nous y résigner.

Toujours est-il qu’un accord a fini par être trouvé. Il contient des mesures importantes : inscription dans la loi de l’interdiction d’enfermer des enfants, statut pour les parents d’enfants victimes de mutilations génitales ainsi que pour les apatrides, meilleure protection des exilées ayant subi des violences conjugales. Mais surtout, un engagement pour plus de 4000 places supplémentaires dans le réseau de l’accueil – création de nouvelles places et sortie des centre, avec solution durable, pour les personnes en attente de réponse depuis plus de 3 ans.

La difficulté, c’est que la concrétisation de cet accord important va prendre des semaines, des mois. Il faudra aussi batailler avec certaines communes qui refusent la création de places d’accueil sur leur territoire. Il faudra s’assurer que les places créées suffisent pour que plus une seule personne en demande d’asile ne soit laissée à la rue. Et en attendant, des centaines de personnes attendent toujours leur tour, dans la rue, dans des squats, dans des solutions de fortune, et survivent grâce à des volontaires qui sans relâche les soutiennent et visibilisent leur situation.

C’est le cas des 70 personnes à qui nous avons rendu visite hier matin. Ils nous l’ont dit : ils sont fatigués. Épuisés, même. Ils ont besoin de repos et de répit.

Alors, aussi longtemps qu’il le faudra, nous resterons mobilisées aux côtés de ces êtres humains qui, après des parcours d’une difficulté et d’une violence indicibles, doivent se battre pied à pied pour obtenir leurs droits plutôt que de pouvoir à nouveau respirer.

Ce matin, tous les groupes politiques de la Chambre des représentants étaient invités. Seuls les partis de gauche, et du centre francophone, sont venus. Cela dit beaucoup sur les rapports de force actuels. Mais cela redouble notre détermination à lutter pour un changement culturel majeur et une société accueillante et ouverte.

Retrouvez un échos dans la presse de cette visite

Photo@Markus Spiske sur Unsplash