Loi pandémie, où en sommes-nous ?
Ce mercredi, nous avons rouvert les débats sur le projet de loi pandémie, dans une version modifiée à la suite des avis du Conseil d’État et de l’Autorité de protection des données, et des travaux parlementaires du mois de mars qui avaient donné lieu à plus de 600 pages de rapport transmis au gouvernement.
Mes collègues et moi recevons des milliers de mails concernant ce nouveau texte, relayant souvent de légitimes questions ou inquiétudes, contenant parfois des éléments étonnants voire erronés. Faisons donc le point sur les évolutions.
Sur de nombreux aspects, le projet de loi est nettement amélioré.
✅ la « situation d’urgence épidémique » est mieux définie afin d’éviter qu’elle puisse s’appliquer à une « mauvaise grippe ». La durée de cette situation est également mieux balisée, elle ne peut être déclarée que pour la durée strictement nécessaire et ne peut en aucun cas dépasser trois mois ; si elle doit être prolongée, il faut repasser par le Parlement.
✅ la prise de décision gagne en transparence : les données et avis scientifiques fondant la décision de déclarer la situation d’urgence épidémique seront transmises au Parlement et rendues publiques ; les avis fondant la prise de mesures concrètes seront également transmis au Parlement ; afin de prévenir tout conflit d’intérêts, les experts devront remplir une déclaration d’intérêts et respecter un code de déontologie
✅ on note aussi des améliorations pour l’adoption des mesures sanitaires. Il y a une diversification des expertises prises en compte : aux organes de gestion de crise sont associés des experts de domaines variés, le texte citant les droits fondamentaux, la santé mentale et l’économie.
✅ une évolution presque unanimement demandée : fini les arrêtés ministériels pour fonder les mesures de police administrative.
✅ Quid de l’attention apportée aux personnes plus vulnérables, affectées plus que d’autres par la pandémie elle-même ou par les mesures prises pour enrayer sa propagation ? L’exposé des motifs (=le texte qui accompagne la loi pour l’expliquer davantage) précise que les mesures doivent éviter des conséquences trop attentatoires aux libertés individuelles, et qu’il doit être « particulièrement tenu compte de l’impact de l’application des mesures sur des personnes et groupes vulnérables qui, en raison de leur état de santé ou de leur situation personnelle ou professionnelle, sont exposés à une difficulté plus élevée de se conformer aux ou de subir les mesures sanitaires ». Tous les mois, le gouvernement doit faire état de la façon dont il a tenu compte des situations particulières de ces personnes et groupes vulnérables, et le rapport final qui doit être remis à la Chambre à l’issue d’une situation d’urgence épidémique doit également contenir une évaluation à ce propos.
✅ l’article sur la collecte et le traitement des données à caractère personnel avait particulièrement fait polémique ; comme largement demandé, il a été retiré du texte et le gouvernement doit proposer dans les prochains mois un texte de loi à ce sujet.
✅ l’articulation entre les différentes bases légales est clarifiée : lorsque la loi « pandémie » sera activée, il n’est plus possible d’utiliser, pour les besoins de la gestion de pandémie, les bases légales utilisées actuellement, dont la fameuse loi de 2007 sur la sécurité civile. Cela permet d’éviter qu’un gouvernement puisse contourner, en utilisant un autre texte moins cadrant pour lui, les balises que nous inscrivons dans ce texte.
Deux questions en particulier restent plus délicates à mes yeux.
➡️ qu’en est-il du rôle du Parlement ? Les mesures de police seront désormais prises par le biais d’arrêtés royaux et non plus ministériels, ce qui est une très bonne chose. Aurait-il été préférable que ces mesures trouvent ensuite leur place dans une loi ? Cela a fait l’objet de discussion au cours des débats de mars. Les auditions et avis n’ont pas été unanimes sur ce point, et le Conseil d’État a précisé que si l’on pouvait bien sûr le prévoir, il ne s’agissait pas d’une nécessité. Je ne le cache pas, cette voie avait ma préférence. Ce n’est pas l’option qui a été retenue, suivant ainsi les avis, entre autres, des ordres des barreaux d’avocats qui avaient plaidé pour que les mesures restent inscrites dans des arrêtés afin d’assurer la possibilité d’un recours effectif et rapide devant le Conseil d’État. À cet égard, on sait que de nombreux recours contre les arrêtés ministériels de cette année ont achoppé sur la condition d’urgence et n’ont donc pas été examinés ; il est donc prévu de faciliter les recours en présumant cette condition remplie, ce qui pour des raisons procédurales doit faire l’objet d’un texte séparé (procédure bicamérale impliquant tant la Chambre que le Sénat). On l’a vu, le gouvernement doit faire rapport tous les mois de sa gestion de la crise au Parlement, ce qui fera l’objet de débats, et doit fournir un rapport d’évaluation final qui sera également débattu. Le rôle des parlementaires, s’il n’est pas aussi étendu qu’il pourrait l’être, ne se réduit pas non plus à celui de simple spectateur comme c’est parfois avancé.
➡️ quant aux sanctions pénales, elles restent prédominantes. Je lis ici et là qu’elles auraient augmenté. Ce n’est pas exact, les taux minimum des peines ont même sensiblement diminué, ce qui permet de moduler davantage. Le texte devrait également être amendé pour prévoir l’effacement automatique des peines du casier judiciaire, de façon à au moins éviter cette double peine. Pour le surplus, ma conviction profonde est et reste que de manière générale l’emprise du droit pénal sur la société devrait rester aussi restreinte que possible et que toute autre solution doit être privilégiée à la voie répressive.
Les travaux continuent ce lundi après-midi en commission de l’Intérieur.
Photo@Martin Gillet